C’est au goulot que l’on boit ce roman. On le descend cul sec parce que l’on est tout de suite dans la peau de Lili, dès la première page, la première phrase. On suit le moineau qui a quitté Manosque les couteaux parce qu’il le fallait, parce qu’il y avait nécessité à rejoindre "the last fronteer", à aller au bout du bout pour se sauver. Là-bas, tout est âpre, rude. C’est la terre de l’extrême où des hommes s’exténuent à pêcher parce qu’il est question de survivre. Pour Lili, c’est encore bien plus. C’est au-delà de la vie, de la mort. Une ascèse. Car la mort ne lui fait pas peur. Le pire qui pourrait lui arriver serait de ne pas embarquer. Elle dit : « Je pourrais pleurer d’impatience. Attendre est une douleur ». Alors, lorsqu’elle embarque sur le Rebel à la pêche à la morue noire, elle est prête à tout. Souffrir, oui, souffrir sans que ses larmes ne viennent la trahir, sans que la fièvre ne l’anéantisse totalement…Car elle aime ce bateau. Elle aime follement la rudesse des pêcheurs, de ces écorchés de la vie, si forts et si fragiles : le grand gars maigre, Jason, Joey, Jude... Jude, le grand marin dont je ne dirai rien. Si beau, si fort, si doux, si désespéré …Il y a dans ce livre une si forte humanité que je ne trouve pas les mots pour parler de ce qui est dit, raconté. Tout est beau dans ce livre. Ca sent le whisky, la tequila, la vodka, les femmes, la crasse, la sueur et l’héroïne. Ca sent la solitude, le désespoir mais aussi une formidable pulsion de vie, de résistance, de fragilité, de solidarité, d'amour. Ca s’ouvre sur de la poésie pure dans des gestes, des mots, des regards, des non-dits de ces hommes à la marge qui sont la vie même. Là-bas, sur l’île de Kodiak, en Alaska, il se passe quelque chose d’extraordinaire qui est lumière. Catherine Poulain nous embarque loin, très loin. Son écriture est vraiment belle, et son âme très très belle.
PS: J'ai bu ce livre d'un trait, puis l'ai repris, relu avec avidité, me suis souvent, surprise à m'arrêter devant des mots aussi simples que : "Il dit. Je dis. Il rit"..."Tell me a story...""Do you still like me ?". Et c'est ça qui est beau !
Le grand marin de Catherine Poulain / Editions de l’Olivier
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