Je ne suis pas fan de Karajan et pourtant, hier soir, en regardant 10 000 gestes, et en écoutant le requiem en ré mineur de Mozart, j’ai été saisie, bouleversée par sa profondeur et son ampleur.
Je n’étais pourtant pas venue l’écouter, mais voir 10 000 GESTES, cette pièce chorégraphique où chaque geste est unique. Un geste qui ne sera offert qu’une fois, un geste d’enfantement à l’état pur. C’est ainsi que l’a voulu le chorégraphe Boris Charmatz : que le gestuel soit librement interprété, c’est à dire de manière totalement subjective sur la base de 400 gestes repris librement par chacun des danseurs. Un tel parti-pris aurait pu donner quelque chose de joyeusement virtuose et foutraque à la fois. Il n’en est rien.
En regardant les 25 danseurs investir l’espace, crier, hurler, s’immobiliser, il jaillissait des tensions de vie, de douleurs, d’offrandes, et de mort aussi éclectiques qu’uniques. L’unité se trouvait dans chacun de ces gestes donnés au moment même où ils étaient exécutés, « ici et maintenant », dans l’instant même de la représentation où chacun formait un tout. Un pari sur la capacité de chacun à se réinventer de manière totalement subjective, à renouveler le geste, à célébrer l’impermanence de la danse. Chaque danseur dégageait une énergie intense et palpable, comme si chacune des gestes était le dernier, comme si l’enjeu était ce geste même.
Urgence à exprimer, révéler, dire la vie à fleur de peau(x) et de mots afin que chacun puisse conserver en lui la mémoire de ces gestes qui ne sont déjà plus mais que nous avons reçus. Chaque geste ainsi multiplié jusqu’à l’incandescence pour brûler, et nous brûler. Miracle de la danse.
10 000 gestes Boris Charmatz / Musée de la danse/ Théâtre National de Chaillot.