C’est brut, c’est âpre. C’est beau. Ce livre, je l’ai avalé d’une traite. J’ai tout de suite aimé l’écriture. Directe. Sans fioriture, profonde. De celle qui me touche et dit beaucoup de la vie. Ici, la rudesse côtoie la poésie, le sexe, la profondeur et l’ambivalence des sentiments. La dernière page refermée, je relis Eux, le poème de Stefan Hordur Grimsson placé au début du livre. Je l’avais aimé mais alors que je le relis, en mesure toute l’intensité, l’acuité, après m’être engouffrée dans les méandres de l’âme de Bjarni Gislason.
C’était par un clair matin
il y a bien longtemps de cela.
Ils suivaient tous deux le chemin
face au soleil levant
et la main dans la main.
Face au soleil levant
chacun songeant à sa propre route.
Ils suivent maintenant chacun leur voie
en se tenant par la main.
Se tenant par la mon
par ce clair matin.
Chaque mot, chaque phrase résume avec une simplicité désarmante le récit qui suit. Car que dire de cet homme tiraillé entre son amour puissant pour Helga et son besoin viscéral de rester arrimé à cette terre de tourbe et de lave, de sentir les éléments lui gifler le visage, mordre son corps.
Dans ce livre-confession écrit à la première personne,
il en va de nos instincts, de nos pensées, de nos lâchetés, de nos intentions, de nos envies, de nos rêves, de nos contradictions. Ici, il s’agit de la réalité de Bjarni, de son instinct de survie. Celle qui lui fait renoncer, celle qui lui fait prendre un autre chemin que celui qu’il avait l’intention de tracer…
il en va de la vitalité des animaux qui « soulage la douleur et rend l’homme capable de survivre à n’importe quelle épreuve ». Et je pense à Béliers de Grimur Hakonarson...
et puis, il y a cette sensualité qui nous entraîne loin, très loin dans le foin : « J’ai refermé les mains sur tes seins près de la scie à bois, et j’ai éprouvé leur plénitude dans l’arôme du foin nouveau ». Un désir pétri de la terre d’Islande où l’âme et le corps ne font plus qu’un.
Lire ce livre est une petite merveille pour qui aime sentir le vent, le froid nous saisir pour porter à son point d’incandescence la beauté des sentiments.
« Il n’y a que moi par ici qui sache où se trouvent les mamelons d’Helga et, à ma mort, j’emporterai ce lieu-dit dans la tombe. Ces éminences sur le versant sud de la butte de Göngukleif, sont comme le moulage terrestre de tes seins, en plus grand bien sûr, mais leur forme - cette pente douce en dessus et le renflement abrupt en dessous - a dû être modelée sur ta gorge par les mains mêmes du Créateur. »
Au soir de sa vie, Bjarni écrit SA lettre à Helga car il n’est jamais trop tard pour se confesser et exprimer ce qui a été.
Et moi, portée par la force brute et poétique du roman, je le reprends. Puissant.
La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson / Traductrice Catherine Eyjofsonn à qui je rends hommage pour la beauté des mots, des phrases…et avec laquelle j’ai entrepris un compagnonnage depuis quelques années dans le cadre de mes lectures d’auteurs islandais.
Photo tirée du très beau film Béliers de Grimur Hakonarson.