Le titre nous avertit, le dit sans ambage : "Personne". Ce père, ce mouton noir mélancolique serait donc "personne", ce "spectre dérangeant qui a du mal à coïncider avec lui-même" comme le définit Gwenaëlle Aubry. A la lecture de ce cri d'amour à deux voix, je lui adjoindrais un article, ce "une", moins signifiant mais plus vivant. Car parler de ce père comme le fait Gwenaëlle Aubry c'est lui redonner la place qu'il avait, les rôles qu'il tenait, le dérangement qu'il causait, la douleur qu'il engendrait. N'est-il pas profondément humain que de ressentir jusqu'à la folie les affres d'un quotidien où chacun joue le rôle qui lui échoit et se doit de tenir. Sortir du cadre, c'est oser briser les apparences, prendre le risque de traverser le miroir de son propre désarroi pour avancer avec acuité dans un monde où le paraître n'a plus lieu d'être. Tout fantôme qu'il soit, François-Xavier Aubry est à ce titre beaucoup plus vivant que beaucoup d'entre nous pouvons l'être, mais un être vivant en souffrance, en errance, en quête de son propre moi. Certainement trop vivant pour finir par en devenir fou, en devenir Sage sans que ce métissage parvienne à prendre corps, à prendre son essor. Parler de ce père, de cette âme malmenée, c'est accepter d'y voir plus clair dans ce parcours de vie où la PMD (trois lettres barbares pour désigner la Pyschose Maniaco Dépressive) vient annihiler la carrière d'un professeur de droit brillant, humain, désespérément humain dans ses contradictions... aimant, oui aimant, mais incapable de se relier, exclu d'un cercle familial aussi oppressant que les quartiers HP qu'il a pu côtoyer et qui lui interdisait d'oser être ce qu'il aurait pu essayer d'être et que l'on lit si ouvertement dans les textes retrouvés après sa mort : " Ma petite fille est allée au cirque, et j'ai pensé " Pourquoi pas clown ?" Ce n'est pas socialement acceptable..." Ce poids social qui semble lui avoir fait tant de mal et dont il n'a pu se débarrasser pour être en accord avec cette douce folie qui s'emparait de lui et dont il parle avec pudeur et retenue : " J'ai, en effet, un spectre bi-polaire, et je le soigne. Quand il s'agite avec force, comme dans le train fantôme des fêtes foraines, je vais là où m'en protéger, discrètement, et de moi-même". Une déclaration aussi émouvante que belle qui signe la douleur criante d'un père qui se mure dans sa solitude et sa désespérance pour échapper à son enfer intérieur et essayer de ne plus l'imposer à l'extérieur. Ce roman porté par l'amour entraîne la fille sur la route du père qui le rejoint pour ne plus former qu'un. Et cette phrase me revient : " ...car de sa mélancolie il faisait oeuvre, il glissait entre les pages de ses livres l'anémone et l'ancolie". Et ce livre me retient.
Gwenaëlle Aubry Personne Prix Femina / Mercure de France. Merci à Jean-Claude Gautrand pour cette lumière A l'angle de la rue Laroche et de la rue Gallois.