De cette exposition je retiendrai aujourd'hui les tableaux d'une mère et d'un fils à nouveau réunis : Suzanne Valadon et Maurice Utrilllo. Qu'il est émouvant de les retrouver unis avec le temps dans cette exposition. Et je repense au parcours de cette mère libre et talentueuse. Et je revois le visage de cette femme aux seins nus qu'elle a peinte en 1917. Assise, elle me regarde et je la regarde, longtemps. Elle est belle. Son regard est profond et mélancolique. Entre elle et moi : des minutes de silence. Une grande sérénité et une incroyable force. Quand on connaît la vie agitée de Suzanne Valadon, on mesure encore plus la quiétude qui se dégage de cette toile. Elle, qui dut sans cesse se battre pour exister et faire exister sa peinture, elle qui dut faire face aux crises de violence de son fils alcoolique, on mesure combien cette oeuvre peinte en 1925 signe une période d'accalmie relative après les internements répétés de son fils en hôpital psychiatrique. "Je ne suis pas fou mais alcoolique" disait Maurice Utrillo dans une lettre qu'il adressait à André Derain. Oui, de cure de désintoxication en cure de désintoxication, il traînait son mal de vivre pour mieux plonger dans la douceur de ses blancs, mélanges de jaune d'oeuf, de silice, de mousse et de plâtre ou de ciment qu'il offraient aux rues et au ciel de Montmartre. Deux vies imbriquées fortement, passionnément. Maurice qui s'initia à la peinture sous le regard et les encouragements de sa mère. Suzanne, la mère, qui, si elle ne s'est pas occupée ou n'a pu s'occuper de son enfant en bas-âge, a tout fait pour l'aider quand, jeune homme, il sombrait déjà dans le désespoir. Mère on ne peut plus aimante quand elle écrit à propos de son fils qui tenta de la tuer : "Il se peut qu'il soit malade, mais il n'a jamais été dangereux, ni pour lui-même, ni pour autrui, c'est pourquoi je viens vous prier instamment de me rendre mon enfant sur lequel je veillerai moi-même". En relisant ces mots, je pense à la mère de Camille Claudel qui ne parvint jamais à tendre la main à sa fille qui fut internée" alors qu'elle ne présentait aucun danger ni pour elle-même, ni pour la société", car " elle ne commit jamais d'actes violents et ne tenta jamais de se suicider, actions qui auraient justifié la séquestration". Enfermée durant trente ans dans un hôpital psychiatrique, elle se sentit profondément abandonnée. Elle l' écrit d'ailleurs dans une lettre à son frère Paul : "Les maison de fous, ce sont des maisons exprès pour souffrir... Je suis tellement désolée de continuer à vivre ainsi que je ne suis plus une créature humaine...Dieu que je voudrais être à Villeneuve". Mais sa maison, elle ne l'a revue jamais, tout comme elle ne revit jamais sa mère. Abandonnée. Suzanne fit, contrairement à la mère de Camille tout ce qu'elle put pour aider son fils à survivre et à vivre. En cela je la trouve admirable. Tout comme je trouve follemement admirable cette manière qu'elle avait de transgresser les codes imposées par la société. Esprit libre et non conventionnel dont les nombreux tableaux de femmes nues nous rappellent que femme elle l'était pleinement et le renvendiquait ouvertement. Tableaux de Suzanne Valadon et de Maurice Utrillo à découvrir ou à redécouvrir dans le cadre de l'exposition Modigliani, Soutine et l'aventure de Montparnasse à la Pinacothèque. Jusqu'au 9 septembre 2012. Extraits de Camille Claudel d'Odile Ayral-Clause. Ed Hazan.