MOTS, COQUES ET BIGORNEAUX

Theferless, les ailes de la beauté selon Anne Herbauts

C'est un livre qui est pure poésie. C'est un long chant qui nous enveloppe dès les premiers mots, dès les premières pages avec ce grand huit qui enlace une petit maison écarlate. Un huit comme une paire d'yeux qui éclaire l'espace, celle de la maison rouge écarlate perdue en pleine forêt. Une sombre forêt. Un huit qui tient chacun dans ses rets sans le retenir tout à fait car la liberté est ici toute relative. Car il s'agit de celle que chacun s'assigne.
Chacun bien dans son rôle même si tout paraît un peu de guingois, même si tout part de travers. Tout va de soi, tout se perpétue dans les gestes répétés, dans les mots prononcés, dans cet équilibre fragile qui ne tient qu'à un fil. Fil de vie. Chacun est là avec soi, avec l'autre, comme si tout avait été toujours ainsi, dans ce glissement et plissement du temps qui prolonge l'histoire et la perpétue. C'est la vie, la vieillesse et la mort réunies, une harmonie de l'ordinaire que vient à peine troubler l'arrivée inopinée de l'hirondelle. Mais l'hirondelle est et sera celle par qui la vie entrera, par qui le dehors entrera. Elle devient cette nouvelle présence aimante qui rassemble et redessine les contours de cet équilibre fragile, et le déplace juste un peu mais suffisamment pour l'ouvrir à plus grand et plus beau, plus libre et plus haut que le grand huit comme le disent ces quatre regards levés vers le ciel, désormais habités.
Avec cet album Anne Herbauts signe une oeuvre poétique, artistique exigeante et pleinement aboutie.
La beauté de chaque double page m'a tout suite saisie comme la beauté des mots, mais je préfère ne rien déflorer, vous laisser découvrir ce précieux récit. Ici, même la mort sourit. Et c'est bien ainsi.
Theferless de Anne Herbauts / les Albums Casterman

Le merveilleux de "Dans tes yeux"

Le titre m’a plu tout de suite. L’illustration de couverture aussi. 

Tout comme le format, le papier - sa texture, son grammage -  la typo.

Avant même de l’ouvrir, ce livre était cadeau.

Je l’ouvre, je m’ouvre à la respiration d’une page ivoire…puis, je retrouve les trois mots qui constituent le titre. Je souris et expire doucement en souriant. Nouvelle page ivoire. Nouvelle respiration. J'inspire. Puis, retrouve la couverture aimée. J'expire, toujours en souriant. Décidément !

Avant même de commencer j’étais heureuse de voir que ce travail éditorial était beau, avait du sens, laissant le temps aux vides et aux pleins d’oeuvrer.

Mais c'était sans compter une page consacrée à la dédicace dédiée à tous les enfants et à Hiram. Il fallait bien leur rendre hommage avant de savourer tous les petits mirages de mots et de personnages aquarellés qui allaient rythmer ma lecture.

Une ouverture comme un joli pot confiture qui m'invitait à plonger immédiatement le doigt dedans et me donnait envie de recommencer à peine avais-je goûtée la confiture.

Il en est ainsi avec « Dans tes yeux » qui m’entraîne de page en page, avec envie dans la vie, avec ce qui en jaillit, avec ce qui s’écrit sur elle comme dans de jolis battements d'ailes.

C’est un très beau livre, un livre-objet qui sort de l’ordinaire pour célébrer l’ordinaire de la vie dans le regard d’une mère pour son enfant et tous les enfants du monde.

"Dans tes yeux", leurs yeux, nos yeux qui disent tout de la vie, de notre vie, de nos questionnements, de nos peurs, de nos bonheurs.

La simplicité apparente des mots répond à la simplicité apparente des traits.

Mais tout y est dans cette simplicité hautement maîtrisée.

Un travail à 4 mains, et même à 6 car entre Dorothée Volut et ses mots, Eve Hennequin et ses dessins, Claire Delbard l’éditrice, on sent qu’il s’est passé quelque chose de beau.
Comment put-il en être autrement pour réaliser ce recueil qui ne dégage que de la beauté ?
Tout de suite, je l'ai ressenti fortement…et encore maintenant que je le regarde, le relis et le reprends.

On ne se lasse pas de tant beauté. 

Une beauté qui fait du bien et me retient dans ses paysages, intérieurs comme extérieurs.

A s’offrir et à offrir à tout ceux que vous aimez. 

Dans tes yeux de Dorothée Volut et Eve Hennequin / L’Atelier des Noyers.

Nuit intérieure

 

 

 

En pleine nuit

Le jour sans détour

Ivre d'une clarté indocile

Jour en plein jour

De ma nuit

Qui s'étire

Qui s'ébat 

            à chercher ses pas

De mes pas

Qui me conduisent

              au-delà

De la peur

            Ce peut être

Et cette voix intérieure

Qui tenaille

Mes entrailles

          Ce peut être

De l'espérance 

           Ce peut être

Cette lumière entraperçue

Quand soudain tout s'est tu

 

BG

Photo Ouessant BG

Se connecter avec soi-même avant de le faire avec son réseau

Sachons un peu discerner, et ne pas nous épuiser dans une course au mieux être, à la recherche d'une qualité de vie optimale qui passe par les abonnements compulsifs à des réseaux de développement personnel, de méditation, d'apprentissage au lâcher prise, à la pleine conscience...

Avec l'épidémie de Covid-19, j'ai, comme vous, assisté à un véritable déchainement d'infos sur les réseaux sociaux sur ces thèmes, et par extension, sur le "care" avec l'ultime claim-signature-leitmotiv "Prenez-soin de vous" qui répété comme un mantra me mettait les nerfs à vif, perdait sa substantifique moelle et me faisait dire que Sophie Calle n'aurait jamais pu penser que son exposition éponyme serait tant de fois médiatisée durant plus de trois mois !

Mais revenons aux coachs en développement personnel, énergéticiens,  thérapeutes qui nous ont parlé, aidé, proposé des remèdes, des méthodes, des exercices très intéressants durant tout le confinement mais qui ont été tellement exposés, médiatisés, surexposés, qu'ils ont fini par me saturer en mode XXL . Rapidement overdosée, je n'ai plus rien écouté, ai fermé les écoutilles ! Le trop m'a tué. Pas Omar,  le trop-plein ;-). Explosion de mes neurones sur-sollicités. Saturation, sur-information . Silence on coupe ! Oui, on coupe . On oublie le verbiage inutile, le vocable "marketé" qui finit par nous appauvrir et nous assujettir à des modes de pensées, pour certaines et selon moi, bien trop "formatées".

Revenons au bon sens car certaines de ces approches si intéressantes soient-elles ne doivent en aucun cas occulter notre bon sens en prenant le temps de nous écouter avant d'écouter les autres, c'est à dire en prenant acte de ce qui nous touche et nous fait vibrer, et en laissant  tomber la course à la perfection qui tend à faire de nous les Shiva du développement personnel, de l'introspection, de la relaxation.
S'écouter avec sincérité, c'est à dire noter et enregistrer ce qui fait battre notre coeur, ce qui est pour nous indispensable pour nous permettre de suivre notre pente naturelle.

Le bon sens, oui, le bons sens prévaut souvent mais il semble parfois tellement hors de portée qu'il est urgent de le remettre au goût du jour. Nul besoin de tout intellectualiser pour comprendre ce qui est, pour chacun d'entre nous, essentiel. Redevenir l'enfant que nous étions et qui comprenait instinctivement ce dont il avait besoin.

Pour moi ce fut la nature et les animaux. Plus tard, vinrent les mots. Ils sont indissociables de moi. Bien avant de lire et d'écouter Théodore Monod, Isabelle Eberhardt, Christian Bobin, Aurélien Barrau et Baptiste Morizot, je me sentais une avec la forêt dans laquelle je vivais, une avec la mer et les rochers, une avec les animaux que je fréquentais...Puis, ce fut avec l'appel du désert. Je n'intellectualisais pas cela, je le ressentais. Cela m'émerveillait. 

C'est aussi avec ce même ressenti que je vécus avec violence la mainmise de l'homme qui imposait ces méthodes court-termistes et capitalistiques. Le remembrement qui saccagea les campagnes françaises me choqua, me bouleversa. On n'employait pas encore le mot "écocide" mais il était pleinement en marche. Aussi, je salue ici les  mouvements qui se créent et appellent à respecter le vivant,  qui réfléchissent à l'émancipation de la nature et aux droits des animaux. Oui, il le faut pour que notre arrogance envers le vivant cesse et que nous nous regardions comme  de simples êtres vivants appartenant à un grand tout, que nous regardions ce qui nous entoure avec l'émerveillement d'un enfant qui s'étonne que tout puisse exister et cohabiter.
Une ouverture naturelle et spontanée au vivant qui m'enchante et ne cessera de m'enchanter.

Me connecter à moi-même c'est ressentir le besoin profond d'être connectée à la nature. C'est bien plus qu'un soin, c'est un art d'être au monde.
Toutes paroles semblent vaines pour l'exprimer et pourtant, quand je suis dans une forêt, un désert, une estive, une île...les mots viennent.

 

Tout et toute.s.

 

Tout ce ciel agrandi

élargi d’un bleu
                ébloui
                par sa seule présence
                                             dans les nuages,

par ses nuances, de gris, de pluie

 

Toute cette bruyère aimante

                    dans la lande

                                rose rosée violacée

 

Toute cette mousse sous mes pieds

                                qui respire mes pas, pas à pas

Toutes ces ronces mêlées, entrelacs de mes pensées

bruissantes, vivantes

                et cette odeur de fougères

                                    dans l’air, en dévers

 

Tous ces rochers à fleur de terre

                                                        de mer

 

BG /2020

 

Et viennent aussi ces paroles, cette musique, ces chants qui me touchent et que je vous invite à écouter :  All de Yann Tiersen, une merveilleuse Release party.

Photo : Exposition / Prenez soin de vous de Sophie Calle

Lettres d'amour et de guerre

Cela remonte à ma vie d'étudiante. Dans une salle de cinéma de Montparnasse, je découvre simultanément Marguerite Duras et Alain Resnais. Ce fut un choc. Quelque chose de fort, de l'ordre de l'indicible. Une expérience presque radicale  à laquelle je ne m'attendais pas. Il y eut un avant et un après, et ces mots prononcés que j'entends encore et encore : " Tu me tues , tu me fais du bien...." et qui ne cessent de me hanter. Tant de douleur et tant de beauté. Jusqu'à ce jour de janvier où  je découvre Lettres de la guerre,  le film du réalisateur  Ivo M Ferreira".
Eblouie par l'esthétique de la pellicule, la profondeur du propos et le jeu de Miguel Nunes qui joue le rôle de Antonio Lobo Antunes -  jeune médecin confronté à l'horreur d'une guerre de décolonisation qui deviendra quelques années plus tard un des écrivains majeurs de la littérature portugaise -, j'ai revu le film trois fois de suite. 
Je voulais me gorger de la beauté des plans, des voix off qui lisent les lettres échangées entre Antonio et sa femme enceinte restée à Lisbonne. Une correspondance poétique, sensuelle, charnelle, éperdue pour ne pas se perdre et qui le sauve face à l'absurdité de cette guerre à laquelle il doit prendre part. Cette guerre qui s'étire, s'étire et le laisse chaque jour plus exsangue .
Ces lettres sont d'une nécessité vitale, elles sont ce par quoi Antonio se doit d'être vivant, encore un peu, même si cet encore un peu est si peu. Car ce sont ses mots à lui, rien qu'à lui, mais aussi ceux de sa femme et ceux du  haut-parleur qui le tiennent éveillé pour ne pas sombrer, le relient à son passé si proche et si lointain, à sa vie d'avant quand tout était différent. Parce que face à la lourdeur du silence qui s'installe et à la moiteur des journées qui n'en finissent pas en Angola, il y a les mots pour  s'interroger, se relier, tenter de se désaliéner de cette guerre. Il y a cette absolue nécessité de dire pour tenir, de dire tout pour ne pas devenir fou. Ecrire pour exister. Une partition intime, existentielle. Magistrale. 

Lettres de la guerre de Ivo M Ferreira Extraits.
Lettres de la guerre de Antonio Lobo Antunes / Editions Gallimard

Deux fleuves se répondent

C’était il y a deux mois en Ariège, un soir en août, une lecture du Fleuve de Anne-Marie Schwarzenbach mise en scène par Loïc Varanguien de Villepin aux Trois chaises à Massat, une merveilleuse  librairie-café-bibliothèque ouverte à la vie.

Deux mois avant j’avais Lu la mort en Perse, et découvert la forte personnalité de cette écrivaine reporter aventurière Suisse. Quel fut mon étonnement de la retrouver et de découvrir ce précieux texte qui ne ressemble à aucun autre.

Doux moment où le temps semblait suspendu, où les voix s’écoutaient, où les silences répondaient aux silences, où les mots me parvenaient dans la quiétude d’une sublime fin d’après-midi.

Chacun semblait retenir son souffle. Les comédiennes disaient le bruissement du fleuve, les collines bleutées, la renarde et la louve aux mamelles taries. Elles prononçaient les phrases en prenant soin de détacher chaque mot, de nous les restituer avec lenteur afin que chacun d’entre nous entre dans l’histoire et les personnages, dans cette torpeur sensuelle qui, loin de nous alanguir, éveillait nos sens.

Un récit comme une déambulation onirique d’où émergeaient des interrogations murmurées qui prenaient toute leur acuité en cette soirée d’été : - Mais comment pourrais-je le faire, qui nous a montré le chemin, qui nous a promis un but, qui sépare le début de la fin ? – Que représente l’endroit où un fleuve se déverse dans la mer ?
La lumière se faisait particulièrement belle, le temps semblait suspendu par ces paroles presque retenues et la lenteur des déplacements. Mots et gestes accordés à une chorégraphie hors du temps, au plus près du temps.

Ce temps compté et décompté au fil de pages de Ex Nihilo. Une errance poétique qui fait presque écho au récit d’Anne-Marie Schwarzenbach car ici aussi les rives et les silences ont leur importance…mais à la différence du Fleuve, le temps est scandé en années de larmes, de passion, d’impatience, de renoncement, de destins qui se croisent sans jamais se rencontrer. Olivier Pasteur nous dit la vie dans sa grande beauté, dans toute sa douleur et son âpreté, avec une très grande sensibilité et une écriture d’une très belle facture. Ce livre, j’y reviens comme on revient voir un ami. Je le lis et le relis pour y retrouver ces « chemins de traverse  qui avaient des allures de raccourcis », "son sang qui charriait des limons d’innocence »…tous ces mots qui sont la vie resserrée sur 40 années.

Dans le fleuve deux jeunes gens marchent ensemble le long des rives qui s’éloignent l’une de l’autre, comme elles, sans heurts, lentement… et l’on entend la voix de l’un d’eux dire : « Je te vois t’éloigner de moi, et tu me plais beaucoup. » Dans Ex-Nihilo, deux femmes, se sont déjà éloignées l’une de l’autre, dans la souffrance de la séparation : « Elles étaient restées là toutes les deux, immobiles sur les rives opposées du fleuve qui les séparait. Elles n’avaient d’autre choix que de marcher le long du fleuve, chacune de leur côté, en laissant dans leur cœur autant de place que possible pour le battement des ailes ».

Un fleuve, deux rives, et une séparation douce comme l’écoulement lent du fleuve, ou violente comme une crue de « tous ces amours qui mettent l’âme à nu ».

Deux livres qui se répondent, deux fleuves…
- Etait-ce toujours le même fleuve* …
...et deux Suisses qui empruntent le même chemin auprès de la nature. Celui de la littérature.

Le Fleuve* Anne-Marie Schwarzenbach / Esperluète éditions
Mise en scène par Loïc Varanguien de Villepin
Pour en savoir plus sur AS il existe ce beau  documentaire 
Ex Nihilo d’Olivier Pasteur à commander en cliquant tout simplement

 

L'ours qui se pose les vraies bonnes questions !!

 

Je suis tombée amoureuse d'un ours. D'un ours  d'un méga calibre, un gros de gros, mais si beau, si mignon qui ne cesse d'accumuler les interrogations. Il est tellement craquant que je n'arrête pas de le "dépoiler" à ma façon en l'effeuillant, pardon en le feuilletant à ma façon !
De la première page à la dernière, il reste le plus grand des séducteurs avec sa façon de se poser mille et une questions existentielles qui résument à elles-seules les grandes questions de la vie. Mais lui les pose si simplement, si naïvement, et je dirais, si efficacement, que je fonds devant ce gros plantigrade dessiné par  Wolf Erlbruch.  Et plus que fondre, je disparais devant le talent de Oren Lavie qui a les mots justes, d'une justesse rare, et d'une richesse infinie  pour aborder de manière non conventionnelle les terres philosophiques. Avec lui, l'humour devient un bel outil  fécond pour exprimer la quête de son moi, le moi de l'ours je veux dire ...Je n'irais peut-être pas jusqu'à dire qu'il en vient aussi à se poser des questions sur son ça et son surmoi.  Mais au fond, pourquoi pas ne le ferait-il pas ? A nous d'imaginer qu'après avoir été une gratouille, (et quelle gratouille !!!), qu'après avoir conversé avec une vache moelleuse comme un canapé, qu'après avoir pris conscience dans la forêt magique qu'il n'y avait pas quatre points cardinaux mais huit (l'est, l'ouest, le sud le nord, le faux, le juste, le déjeuner et le petit déjeuner);  moi personnellement , je dirais sept : l'est....le faux, le juste, le petit-déjeuner, un point c'est tout. Parce que pour moi, le petit déjeuner c'est beaucoup !!! Avec sept points cardinaux, je pense ne pas me perdre, j'aurai toujours l'odeur des croissant chauds qui me guideront ! Et puis, si je me perds, je pourrai toujours demander comme l'ours si je suis perdue. Car à cette question, il me sera répondu très calmement : " Oui, cela fait partie du chemin En-avant". Mais oui, tout est simple, comme de se perdre, car cela fait bel et bien partie de la vie et nous permet de rester tout le temps en marche.  Se perdre pour mieux retrouver son chemin ou en reprendre un !!
Avec ce magnifique album, c'est toute une sagesse de vie qui nous est transmise pour atteindre notre propre maison. Mais chuuuttt, je ne vous en dirai pas plus de peur de vous réveiller !!
Un cadeau à vous faire, et à faire à tous ceux que vous aimez en cette fin d'année. Un album jeunesse pour petits et grands, et pour l'éternité. Juste magnifique, et je n'exagère pas, croyez-moi ''!!! Et pour vous permettre de goûter la saveur des mots, voici les cinq premières phrases qui vous donneront envie d'avancer, et de "dépoiler" notre ours, notre si gentil ours : " Il était une fois une gratouille. / Ce n'était pas une grosse gratouille./ Ce n'était pas une petite gratouille. C'était une moyenne gratouille.  /Et cette gratouille voulait se gratter."

"L'ours qui n'était pas là"  de Oren Lavie & Wolf Erlbruch  / Editions LA JOIE DE LIRE

Il faudrait toujours être en route pour l'Alaska !

C’est au goulot que l’on boit ce roman. On le descend cul sec parce que l’on est tout de suite dans la peau de Lili, dès la première page, la première phrase. On suit le moineau qui a quitté Manosque les couteaux parce qu’il le fallait, parce qu’il y avait nécessité à rejoindre "the last fronteer", à aller au bout du bout pour se sauver. Là-bas, tout est âpre, rude. C’est la terre de l’extrême où des hommes s’exténuent à pêcher parce qu’il est question de survivre. Pour Lili, c’est encore bien plus. C’est au-delà de la vie, de la mort. Une ascèse. Car la mort ne lui fait pas peur. Le pire qui pourrait lui arriver serait de ne pas embarquer. Elle dit : «  Je pourrais pleurer d’impatience. Attendre est une douleur ». Alors, lorsqu’elle embarque sur le Rebel à la pêche à la morue noire, elle est prête à tout. Souffrir, oui, souffrir sans que ses larmes ne viennent la trahir, sans que la fièvre ne l’anéantisse totalement…Car elle aime ce bateau. Elle aime follement la rudesse des pêcheurs, de ces écorchés de la vie, si forts et si fragiles : le grand gars maigre, Jason, Joey, Jude... Jude, le grand marin dont je ne dirai rien. Si beau, si fort, si doux, si désespéré …Il y a dans ce livre une si forte humanité que je ne trouve pas les mots pour parler de ce qui est dit, raconté. Tout est beau dans ce livre. Ca sent le whisky, la tequila, la vodka, les femmes, la crasse, la sueur et l’héroïne. Ca sent la solitude, le désespoir mais aussi une formidable pulsion de vie, de résistance, de fragilité, de solidarité, d'amour. Ca s’ouvre sur de la poésie pure dans des gestes, des mots, des regards, des non-dits de ces hommes à la marge qui sont la vie même. Là-bas, sur l’île de Kodiak, en Alaska, il se passe quelque chose d’extraordinaire qui est lumière. Catherine Poulain nous embarque loin, très loin. Son écriture est vraiment belle, et son âme très très belle.
PS: J'ai bu ce livre d'un trait, puis l'ai repris, relu avec avidité, me suis souvent, surprise à m'arrêter devant des mots aussi simples  que :  "Il dit. Je dis. Il rit"..."Tell me a story...""Do you still like me ?". Et c'est ça qui est beau !

Le grand marin de Catherine Poulain / Editions de l’Olivier

Les images et les mots de La Peur

Cet été, j’ai vu LA PEUR envahir le grand écran. Cet été, j’ai lu LA PEUR dans les bras de Vincent.

14 -18, deux dates qui nous plongent dans la barbarie, l’insoutenable, l’hébètement, LA PEUR  qui tue de l’intérieur, celle que l'on n'ose jamais avouer, qui ne dit pas son nom.LA PEUR, le sujet même du film de Damien Odoul, devient sujet, le personnage central de ce film éponyme, tiré des mémoires d’un poilu, Nicolas Rocher qui osa dire l’enfer de la guerre et des tranchées, et dont le livre fut censuré avant l’entrée dans la seconde guerre mondiale. Cette peur crève l’écran.

14-18, une guerre dont Vincent, 16 ans, ne veut rien savoir pour sauvegarder son enfance, une forme d’innocence à être au monde. Pas responsable de cette guerre, irréelle, tenue à l’écart de sa vie. Vincent, libre, qui ne s’interdit rien, ose « les rapprochements les plus improbables » comme les actes dits scandaleux. Et c’est dans ce « scandaleux » qu’émerge la beauté d’une rencontre, l’éblouissement. Vincent et la connaissance de l’espace des bras d’Arthur. Son bonheur. Arthur, 21 ans,  soldat en permission, amant magnifique, autant éperdu que perdu dans les spasmes de la guerre.  Vincent qui ne peut le rejoindre dans son malheur,  « la peur absolue, totale, indépassable, une chose insensée, un pur suicide » mais lui offre son écoute, son silence, sa chair, sa vie. La pureté de leur lien.

Damien Oudoul nous livre avec force et grâce un très beau film sur cette expérience inaudible, insondable. Oui, grâce, si on peut appeler grâce, l’incroyable interprétation de Nicolas Rocher « qui porte comme un fardeau inconcevable la stupéfaction des survivants*». Philippe Besson m’a, quant à lui, bouleversée avec ses accents durassiens et sa capacité à mêler les corps et les esprits, à me faire traverser les territoires géographiques de chacun des protagonistes.

Ecrire, oui écrire, encore et encore sur l’horreur, la peur, filmer les mots d’un poilu pour dire l’impensable. Il le faut encore et toujours même si :  « Les gens ne peuvent imaginer. Ceux qui raconteront notre histoire, plus tard, ne trouveront pas les mots, parce qu’il n’existe pas  de mots. Et même le peu qu’ils décriront, ce qu’ils restitueront ne sera pas cru ou compris. Ils demeureront seuls, tout à fait seuls  dans le souvenir indélébile et incommunicable de ce calvaire* ». Le peu que Damien Odoul et Philippe Besson ont filmé et écrit est déjà BEAUCOUP.

La peur de Damien Odoul / Prix Jean Vigo 2015
En l’absence des hommes de Philippe Besson ( *extraits ) / collection 10/18

 

Nos feux de résistance à créer, en poésie de vie.

J'aime bien le retrouver, retrouver sa prose, retrouver son émerveillement. La poésie est indissociable de sa vie. Comme elle l'est pour moi. Nullement naïf ce regard posé sur la nature, les êtres  vivants et les choses, juste simple et vrai pour remettre l'homme à sa juste place et nous faire voir ce qu'il y a à voir entre les pavés, dans "la longue flamme rousse du corps d'un renard, dans l'étirement d'un chat, dans l'odeur de l'acacia, devant la nudité d'un chêne l'hiver, devant un mur moussu noirci d'eau vert"... Oui, je suis bien avec Christian Bobin, et cela fait très longtemps que je suis bien. Le temps n'altère aucunement ce sentiment.  Et parce qu'il faut vivre, autant que je vive ma vie au plus près de ce qui me la rend belle comme "ces herbes folles hautes et maigres qui bavardent", comme "ce merle qui chante un Ave Maria"...Oui, tout est à saisir. La vie est là, nous tend les bras dans les nuages qui se déplacent, dans les jeux d'ombres, dans la lumière qui traverse les branches, dans le regard brillant d'un enfant, dans une main ridée qui n'attend qu'à être aimée, regardée...Etre juste là en présence des autres, des choses, c'est beaucoup, c'est tout, c'est essentiel pour ne pas se sentir alourdi par le poids de l'actualité, des faiseurs de modes et d'égo.
Christian Bobin dit d'ailleurs tout haut ce que je pense - non pas tout bas - mais  souvent, d'ici bas : " Le monde est une plaque de plâtre qui se décolle d'un mur : ce qui apparaît dessous est d'une dureté de fer." Alors, il faut regarder, regarder encore et encore, nous brûler les yeux avec le merveilleux.
Comme ce matin où, très tôt, il me fut donné le plus beau des concertos. Le printemps n'est pas loin. Les oiseaux me le disaient avec une simplicité désarmante et étonnante. Christian Bobin l'a, quant à lui, très bien résumé en une phrase : " Il y aura toujours une pluie pour jouer du clavecin ou un merle pour composer une fugue". Oui, la nature encore si présente et vivante nous ramène à l'essentiel, au présent qui nous réserve tant et tant de petites et grandes surprises.  Il faut ouvrir les yeux, écouter, " avoir l'ivresse de goûter une vie dont chaque instant est sans modèle ". Oui, c'est ça : une vie dont chaque instant est sans modèle car trop de modèles tuent, tout comme trop de routes tracées ou à tracer semblent nous donner une raison d'exister et de nous positionner, trop de moules dans lesquels on veut nous faire entrer...Goûter à la vie en poésie parce que la poésie est partout. Elle ne se limite pas uniquement à un genre littéraire, elle est bien plus. Elle est une manière d'être dans le monde et au monde : " Une affaire vitale, la dernière chance de rester dans le bloc du réel". Celle qui me permet d'user de mes mots pour écrire des poèmes, des livres : " des huttes pour les âmes, des mangeoires pour les oiseaux de l'éternel, des points de résistance".
Puissions-nous tracer avec nos propres points, de belles lignes de vie en pointillés comme autant de feux de résistance créés !
Inspiré par "Un assassin blanc comme neige" de Christian Bobin / Gallimard.

Vivre en poésie

De la poésie à portée de main, près de moi, toujours, partout où je vais. En picorer, en prendre par brassées...impossible de m'en séparer, ne serait-ce qu'une journée. Il m'en faut pour respirer. Dans mon sac, Emily Dickinson voyage avec moi  et me chuchote bien des mots dans le métro, Mahmoud Darwich me fait découvrir Deux Oliviers, Dante me dit que l'horizon, quand le soleil se couche, met au monde un monde un ciel germiné"( "che l'orizzonte, quando il sol si corca, ci partorisce il germinato cielo")...Fin mars, je me suis rendue à la Cassina Rossa, la dernière demeure de John Keats. Une façon de lui rendre hommage. J'ai regardé par le fenêtre la Piazza di Spagna. Elle vibrait. Pouvait-il encore se lever alors que ses dernières forces se retiraient. Entendait-il encore l'animation de cette place qu'il aimait tant  ? Pouvait-il encore espérer caresser la lumière, écrire une dernière lettre à Fanny Brown, l'aimée, sa Bright star à qui il avait dédié ce poème :

Bright star, would I were steadfast as thou art--
Not in lone splendour hung aloft the night
And watching, with eternal lids apart,
Like nature's patient, sleepless Eremite,
The moving waters at their priestlike task
Of pure ablution round earth's human shores,
Or gazing on the new soft-fallen mask
Of snow upon the mountains and the moors--
No--yet still stedfast, still unchangeable,
Pillow'd upon my fair love's ripening breast,
To feel for ever its soft fall and swell,
Awake for ever in a sweet unrest,
Still, still to hear her tender-taken breath,
And so live ever--or else swoon to death...

Une lettre manuscrite écrite à son ami le peintre John Serven témoigne de l'extrême faiblesse qui le submergeait. Keats venu soigner sa tuberculose à Rome sur recommandation de son médecin et sur invitation de son ami Shelley. C'est donc avec émotion que je me suis retrouvée dans sa chambre, à l'endroit même où il mourut quelques semaines après son arrivée. Et si les meubles furent brûlés (car telle l'imposait la loi pontificale après la mort d'un tuberculeux), il reste quelques manuscrits, des tableaux, son masque mortuaire qui nous le rend à la fois proche et lointain, et surtout ses vers qui  hantent les lieux. Pour lui qui n'eut de cesse durant sa trop courte de vie de rendre hommage à la nature et à la beauté, je récitai en marchant ces quelques vers appris par coeur pour mon plus grand bonheur : "A thing of beauty is a joy for erver. Its loveliness increases; it will never pass into nothingness" et aussi ,« Beauty is truth, truth beauty,-that is all Ye know on earth and all ye need to know ».

Et parce que la poésie est fil de vie, de partage, et de liens, je tends ma main et ouvre "Atalaya de piedra" page 91, pour y lire ces mots de Gil Pasteur : " Encontré en el hueco de mi mano/entre las lineas de mi destino/enrojecidas por el fuego de nuestros lazos/dos ramos tan bien trenzados/como madreselva y avellano/cuerpo y corazon entrelazados/que yo pienso y me pregunto/de que cruces estaran cargados" ( "J'ai trouvé au creux de ma main/ entre les lignes de mon destin/rougies par le feu de nos liens/deux rameaux si bien tressés/comme chèvrefeuille et coudrier/coeur et corps enlacés /que je reste à me demander/ de quelles croix ils sont chargés").

On n'en finit jamais avec la poésie...

Have a walk through Keats-Shelley House in Roma et écoutez quelques merveilleux vers récités par Ben Whishaw:  "La Belle Dame Sans Merci"

 

 

 

Ecrire pour en finir, mais pas que...

Ce livre, je l’ai pris, et ne l’ai reposé qu’après avoir lu ces deux mots : « Moi aussi. » Deux mots qui, signent la fin d’un roman et sont délivrance. Je lisais ces derniers mots dans le train alors que j’arrivais à destination. Tout comme Eddy arrivait dans ce lycée à l’orée d’une nouvelle vie, d’un nouveau départ. Etrange coïncidence. Je n’avais rien programmé, rien envisagé, j’ai juste été happé par ce roman. Une fois entrée, je n’ai pu y échapper. Pourtant, je le pouvais, rien ne me contraignait à vivre dans cette famille picarde engluée dans une indigence extrême, à me laisser toucher par les crachats, la violence qui sourdait de toutes parts et qui prenait pour cible, Teddy. Nulle envie de le laisser seul. Impossible de détourner les yeux, de l’abandonner à la misère sociale, affective, intellectuelle. Au moins le partage des mots qui disent sans accuser, des mots que je voulais comprendre.  Cela s’est fait tout naturellement, sans voyeurisme, juste  à hauteur d’hommes. Car on ne peut comprendre Teddy sans connaître ses parents, leur histoire, et cet environnement dans lequel il a grandi, dans lequel il aurait dû se faire happer et duquel il réchappé. Oui, j’ai tout de suite emprunté la pensée du narrateur, sans m’y contraindre. On ne peut  rester à l’écart de ce qui vous touche, vous émeut, vous questionne. Car Teddy  le dit avec simplicité et une vérité désarmante dès la première phrase : « De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux ». Un constat ni amer, ni appuyé. Juste la vérité. Effroyable. Nue. Face à cet aveu, on a envie de tout dire, ou alors de ne rien dire, par respect, par égard pour ce garçon qui a osé user des mots pour re-naître et être. Etre ce qu’il est, sans avoir à subir la haine, l’opprobre, la vulgarité, l’extrême solitude  de celui qui se sent différent et tend à tout faire pour aplanir cette différence. Juste essayer de vivre, de survivre. Car si la question du genre est ici posée, elle ne peut à elle seule résumer ce livre. Ce livre existe parce qu’il se devait d’exister pour que Teddy puisse rompre le fil d’un déterminisme social qui aurait pu l’entraîner loin, très loin de ce qu’il est aujourd’hui. Bien plus qu’une catharsis,  qu’une autobiographie, ce roman nous entraîne avec crudité au cœur d’une enfance et d’une adolescence désertées. Sans jugement, Edouard Louis nous livre une part de cette France malmenée, abandonnée qui souffre et fait souffrir  avec une violence inouïe ceux qui transgressent ses propres codes. A ce trop plein de souffrances, Edouard Louis oppose un roman où l‘horreur d’un vécu s’allie à une forme de bienveillance pour parler des sans voix, des déshérités pris dans un maëlstrom d'ignorance, source de violence. Un acte littéraire fort et décapant pour revendiquer le droit à la différence et parler d'un monde dont a trop de peine ou de honte à parler et que la société ne doit pas ignorer. "En finir avec Eddy Bellegueule" d' Edouard Louis aux Editions du Seuil.

Un récit brûlant comme la neige

L'hiver est glacé. Les âmes semblent l'être tout autant sur cette terre hostile recouverte d'une chape de neige en guise de chape de plomb. Car dans ce camp où les exécutions rythment inexorablement les journées, trois hommes se fraient une étroite ligne d'humanité dans l'horreur d'un quotidien martelé par le tintement du fer du Lieutenant Graaf. Trois hommes qui ne veulent plus être confrontés à l'innommable, au "travail" prévu pour le lendemain pour leur compagnie : les exécutions programmées de dizaines, voire de centaines d'hommes, de femmes et peut-être d'enfants. Pour y échapper, ils obtiennent l'aval de leur commandant, "un réserviste que les tueries avaient vieillies plus que les autres", et qui semblait les comprendre, leur ayant accordé "la chasse plutôt que les fusillades", ces fusillades qui les déprimaient tant et dont ils rêvaient la nuit. C'est donc à l'aube qu'ils partent avant la première. Ils ne seront pas les acteurs de cette tuerie orchestrée par leur lieutenant. Plutôt trouver et ramener un fugitif au camp que de participer à cette exécution collective. D'où cette chasse à l'homme dans laquelle ils sont engagés.  Et c'est ce qui rend si vertigineuse cette marche forcée. Echapper à l'horreur pour s'enfoncer dans une autre qui contraint à agir, à prendre une décision douloureuse pour, une nouvelle fois, échapper à la barbarie. Mais avant, il y a cette journée, et surtout un huit-clos des plus surprenants. Il se déroule dans une maison dans laquelle les trois allemands et le juif se sont réfugiés pour faire un feu, et dans laquelle un polonais fruste et antisémite les rejoindra. Et c'est ce feu qui sera au centre de toutes les préocupations, de toutes les tensions qui s'installeront pour parvenir à le faire. Et le temps se dilatera pendant que le pain se réchauffera, la neige fondera, la semoule s'épaissira. Chaises,  banc, table ... tout le mobilier y passera pour que le feu prenne et se maintienne. Parce que il y a ce repas désiré, convoité, dans un froid à couper, il y a cette soupe qu'ils finissent par partager dans une proximité de silence,  il reste une formidable histoire d'hommes pris dans la tourmente de la guerre et de leurs sentiments mis à mal,  le regard de ces trois allemands pour leur prisonnier, et leur tentation de le laisser filer pour pouvoir se rappeler qu'ils en auront au moins épargné un...Mais demain, demain Graaf sera là ...Un récit intense et dépouillé, aussi puissant qu'une salve, aussi brûlant que la neige. Un repas en hiver d'Hubert Mingarelli Editions Stock / Photo de Dominique Bouvet.

 

Savoir dire que l'on aime

Cela fait du bien de lire un tel livre. Cela fait du bien de se laisser éblouir par cet amour qui fait irruption dans la vie de Gilles Leroy. Dès les premiers mots, il le dit, dans détour, sans contourner le propos, de manière directe et simple. Il dit que cela devait arriver : "Je savais que ça arriverait un jour, et que ce jour culminerait en intensité sur l'échelle des événements de ma vie passée et future. Quelque chose s'était rapproché, à portée de main, que je pouvais toucher en rêve et qui me rendait heureux. Une chose qui n'était pas le succès mais cette catastrophe concomitante et lumineuse que l'on pourrait appeler, je crois le dernier amour"'. Premier paragraphe intense qui porte à son incandescence la beauté de l'amour. Oui, ce paragraphe brûle d'amour pour Marian rencontré, aimé dans l'instant même de leur rencontre, et les autres paragraphes brûlent tout autant de ce sentiment si violent, si fort qui mérite que ce livre soit écrit, qui n'attend qu'à exulter entre les pages. Parler de cet amour sans mièvrerie, sans impudeur, avec des mots renversants de désirs, avec cette innocence qui fait que cet amour foudroie l'auteur, le lie instantanénement à ce roumain de 26 ans libraire le jour, rocker la nuit, à qui il va consacrer près de 200 pages, est cadeau. Gilles Leroy écrit avec la ferveur de l'amant et la distance de celui qui mesure immédiatement que la différence d'âge, de milieu, de vie rend cet amour impossible même s'il est bien vivant, même s'il n'y aura jamais de fin quand aimer c'est savoir aussi renoncer pour le garder intact. Gilles Leroy me touche, m'émeut. Rien ici n'est artificiel, forcé. Tout est donné, aussi vrai que cet amour qui n'en finit pas d'être et "le fait suffoquer de la peur d'avoir trouvé ce qu'il cherchait". L'amour, oui, ce n'est que d'amour qu'il s'agit dans ce roman, de l'amour qui se donne tout simplement, qui n'essaie pas d'inventer d'autres possibles que celui d'être vécu à l'instant même où il est. Que cela fait du bien d'étreindre les pages d'un tel livre porté par une écriture libre et féconde, de redevenir ce jeune puceau qui a peur et tremble : " Voici que j'ai peur comme un puceau. Je frissonne, j'ai des secousses dans tout le corps et mes dents claquent comme à la première fois. Je tremble, je pense non, je m'entends dire oui - sa peau brûlante lorsqu'il s'étend sur moi est une délivrance. Dans les longs cheveux noirs je me réfugie". Le merveilleux de l'amour est justement et magnifiquement là, dans cet amour tremblant, naissant, dans cette conscience magnifique que cette passion suscite : "Il y a que je suis au bord du gouffre. Au bord de tomber dans le cratère amoureux. Il y a que demain, au plus tard après-demain, je serai fou de lui. Et perdu". Proche de la cinquantaine, Gilles Leroy retombe en amour avec la fièvre de l'amant qui sait ce que sont la douleur, la séparation, la perte...En toute conscience, il l'accepte car : " Ce très peu qui fut nous, dit Gilles Leroy, gardons-le intouché dans sa splendeur première". Ce très peu est beaucoup, est immense. Ce roman, je l'ai lu d'une traite, annoté, repris, relu. Il est beau comme l'amour qui flamboie encore et encore au coeur de l'hiver.  Dormir avec ceux qu'on aime  de Gilles Leroy Mercure de France

"A te vivre rien ne se pétrifie"

Je l'aimais tant. Amie. Aimée. Je l'aimais et elle me le rendait bien. Dans chaque page ouverte, je me posais, je me reposais, je reprenais mon envol. Elle était formidablement lumineuse et d'ailleurs de cette lumière qui m'inonde encore, et qui n'a pas fini de m'asperger, je m'en habille, je m'y baigne. Sa mort n'est pas, elle ne changera rien car Andrée Chedid continue de vivre en moi, de faire chanter son "visage premier", de m'offrir " sa fraternité de parole". Comme elle nous le disait : " Nos corps tissent la vie Et puis tissent la mort A perdre regard Ils vont au point de ne plus être...Tant d'inconnu dans ce corps reconnu Tant de chutes Tant d'aubes...Tant de vécu pour ce corps disparu". J'aimais son beau visage. J'aimais le regarder, aller à sa source en plongeant mon regard dans le sien, si humain. Andrée Chedid et moi avions instauré un dialogue "Dans  le songe insulaire Dans le rêve faiseur d'hommes Dans la dissolution des mots Dans le tissu de la parole". Je me promenais avec elle et je l'écoutais me dire : " Tu auras pour survivre Des collines de tendresse Les barques d'un ailleurs Le delta de l'Amour...". Ce chant de vie on le sentait vibrer à chaque mot prononcé, à chaque larme versée, à chaque cri lancé pour dire l'espoir, la liberté. Andrée qui chantait la vie comme on chante l'amour avec ses brisures, ses fêlures et la beauté d'un monde réenchanté. Elle qui s'insurgeait contre la barbarie, elle qui disait " A te vivre Je déborde de silences et de sel A te vivre Rien ne se pétrifie !", elle trouvait dans l'autre une manière de se perpétrer et de survivre. Sa mort m'a bouleversée et j'ai laissé couler de la douceur en guise de pleurs. Aujourd'hui je veux lui rendre hommage, aussi simplement qu'elle l'aurait certainement voulu. Et j'entends en moi sourdre ce poème " Ce jour-là J'étais arbre j'étais source J'étais herbes j'étais pierre J'étais toi j'étais nous Ce jours-là à perdre écailles à perdre lianes à perdre murs. En mille milliards de voies J'étais partout". Oui Andrée, vous êtes partout. Par delà les mots avec fleurs, combat, paix, aurore en liberté, tournois de l'âme, dans les syllabes du rêve. Il est temps de vous dire ouvertement merci.

La vie comme un déluge

C'est un livre offert à la douleur, offert à l'Amour, offert à la vie. Un livre testamentaire d'une grande profondeur. Un livre qui se gagne ou plutôt par lequel on est gagné, que l'on reprend pour se laisser porter par cette rage de brûler et d'espérer, par cette brutalité et sensualité propres à nous faire frémir, à nous entraîner dans notre propre folie, de notre propre naufrage. Ce livre se lit comme une quête. On y entre, on se laisse assaillir par les tourments intérieurs, on se laisse balloter, submerger par les flots qui montent, par l'amour qui jaillit. Ce livre, c'est la naissance d'une délivrance, un roman cathartique intense porté par la plume d'Henri Bauchau qui nous offre une éblouissante métaphore de la vie. Pour vous, j'ai extrait cette phrase qui parle de l'oeuvre peinte, de l'arche qui concentre toute l'énergie créatrice de Florian qui entraîne avec lui Florence et Simon : " Dans l'arche il faut voguer ou se noyer. C'est le piège où Florian nous a précipités tous les deux et dont nous devons sortir ensemble avec lui. Car l'oeuvre est violente, et nous devons parvenir à prendre confiance en nous coûte que coûte". Oui de la confiance à trouver pour vivre. Cette "oeuvre - collective - que l'on ne peut pas finir parce qu'elle va vers la vie" prend d'autant plus son sens quand on connaît l'âge d'Henri Bauchau. D'une formidable lucidité, ce grand Monsieur a la ferveur et l'immense talent de nous transmettre ce qui le meut, l'interroge, le broie sans jamais complètement le noyer. Son arche connaît la montée des eaux, et lui la beauté des mots, et des pinceaux qui sauvent, transcendent et relient.

Déluge d'Henri Bauchau Ed Actes Sud

Un alphabet à conter

Dès la première page on entre immédiatement dans la réalité onirique du livre: réalité car c'est bien en Palestine durant l'intifada que se déroule l'histoire.  Quoi de plus efficace pour parler de la dureté et du ridicule de la guerre que de la conter à la manière d'une fable ?

"On m'avait attribué un Moshe Dayan...Je n'étais pas le seul à être un Moshe Dayan. Tout comme ce fou de Khaled Almadjid, un Moshe Dayan de sept ans...En outre, se trouvaient parmi nous un Mickey Mouse, un matelot, un éboueur, un monstre, un cow-boy, des cosmonautes, des soldats. Beaucoup de soldats. Beaucoup de sorcières identiques. Beaucoup de clows jumeaux. Enormément d'Arabes. Comme dans une revue militaire." Parler de la guerre de cette manière c'est vraiment le plus beau pied de nez qui soit au sérieux et à l'horreur de guerre qui frappe cette terre, qui plus est quand on est Israélien et que l'on se met dans la peau d'un petit palestien de 12 ans. Djaffar Omar Isameël Zakkut, un nom aussi long que cette guerre qui s'éternise, que les événements qui s'accumulent, se contractent et dessèchent la terre et les âmes. Mais comme dans tout conte oriental, il y a cette manière de dire, de ressentir les choses avec tous les sens mis en éveil, avec cette incomparable verve qui nous font traverser le miroir de la réalité pour entrer dans un monde poétique et féérique où l'humour est le meilleur antidote qui soit aux tourments. De phrases en phrases, on se plaît à se glisser dans la peau et dans les pensées de cet enfant qui témoigne de la vie de son village où "Les vaches restent à leur place, et le village à la sienne", qui remercie Allah " d'avoir créé les hommes à son image, les mulets égaux entre eux et les étoiles parfaitement semblables les unes aux autres", qui transforme la dureté extrême de son quotidien en une ode à la vie et à la nature :" Comme les soldats avaient emporté les reste du corps mutilé, mon frère préleva un peu du sirop où flottaient encore des parcelles de son amante éphémère et improvisa des funérailles dans les plantations d'orangers. C'est pourquoi la floraison des cyclamens fut si belle; la récolte des agrumes si abondante." Un livre qui se lit en égrenant l'alphabet arabe...et qui nous laisse en chemin à lettre Kha. "Au-delà il n'y a plus rien."Et si l'on se prenait à épeler le Ayn et le Ghayn, ces deux dernières lettres de l'aphabet qui nous aideront à en finir avec cette guerre ? Lettres de soleil, lettres de lune d'Itamar Levy Ed Actes Sud.

Il dit : Je vous écris...

On voit la page, on lit le texte. On se dit que c'est beau, que l'on a peur d'en parler, peur de le déflorer. Et puis, cette envie de partager le beau, les mots d'Henri Michaux. Alors plutôt que de faire de longs discours on happe, on lape au hasard des pages, des phrases, des mots. On les boit, on les voit....on se laisse porter comme un bois flotté pour les écouter: "Je vous écris du bout du monde. Il faut que vous le sachiez....Est-ce que la vie sur terre ne pourrait pas se poursuivre sans vent ? Ou faut-il que tout tremble, toujours, toujours...On ne voit rien, que ce qu'il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble, pourquoi?...Depuis longtemps, longtemps, lui confie-t-elle, nous sommes en débat avec la mer. ...Ici, je devrais expliquer l'affaire des vagues. C'est follement compliqué, et la mer...Je vous prie ayez confiance en moi...Je voudrais vous reparler de la mer....Elle est comme ça. Pour fort qu'elle s'agite, elle s'arrête devant un peu de sable. C'est une grande embarassée." Ce texte me foudroie de bonheur. Le lire, c'est l'écouter, le dire c'est le vivre. Il me renvoie l'écho de tous les livres de Marguerite Duras. Leur musicalité, à ne pas s'en expliquer.

Pour l'amour des funambules

Un petit rectangle ivoire posé parmi des piles de livres, une illustration au fusain qui accroche le regard, une page ouverte au hasard pour tomber nez à nez avec ces mots: " Pénétrer l'éclat lumineux de la recherche de sa source. S'enfoncer pour rejoindre où rien ne respire le noir qui s'y cache. Poursuivre et atteindre de l'autre côté de la lumière une clarté éblouissante, une splendeur bruyante, humide, tourbillonnante...". Ces quelques phrases ont su mettre le feu à mon envie d'en savoir plus, à réveiller une envie bruissante de vivre au plus près de la vie après la découverte des tableaux de Kandisky* qui manquaient, selon moi, de chair et d'âme. Ce petit traité de funambulisme  proposé écrit par Philippe Petit fut donc vite emporté, lu et relu deux fois dans la soirée. J'y trouvai matière à combler ce manque. Petit par la taille mais non pas l'intensité de certaines phrases qui ferait chacune à elle seule un livre : " D'ailleurs je ne crois à rien. Il n'y a que l'inutile qui m'enchante", et encore  à propos de la perfection : " Vous possédez le fil, c'est vrai. Mais l'essentiel est d'inscrire dans l'altitude des mouvements si immobiles qu'ils ne laissent de trace. L'essentiel est dans le simple". Voilà donc qui est dit. Ce livre est une ode passionnée et vibrante à l'art de se mettre en danger, à la vie tout simplement. Et ce fil omniprésent qui relie ne pouvait que me conduire au Funambule de Jean Genet***. Texte écrit pour son compagnon Abdallah. A lire ou relire dans un silence quasi religieux. Extrait: : "...Tu entres, et tu es seul. Apparemment, car Dieu est là. Il vient de je ne sais où et peut-être que tu l'apportais en entrant, ou la solitude le suscite c'est pareil...". Une très belle médiation sur la création qui vous donnera envie de continuer de glisser sur le fil de Jean Genet avec  Le condamné à mort lu par Mouloudji. Vous ne pourrez qu'être saisi par le vertige des mots !* Exposition Centre G.Pompidou jusqu'au 10 août 2009 ** Traité de funambulisme de Philippe Petit - Préface de Paul Auster ***Poésie Gallimard "Le condamné à mort et autres poèmes suivi de Le Funambule. Poésie Gallimard

Joë Bousquet: une si belle lumière

C'était en 1981. Gallimard publiait dans sa collection poésie "La connaissance du soir". Je me revois lire intérieurement, et aussi à haute voix :" Elle a promené dans les villes Le pas qui tremblait sur les eaux Une chanson la déshabille Son silence est né de l'oiseau"...et enchaîner : " Il s'en faut d'une parole Qu'elle ait l'âme comme avant Elle court où les jours volent Elle est née avec le vent..." Cette musicalité, je l'ai tout de suite faite mienne. Je la retrouve toujours, et plus que jamais, dans "Lettres à une jeune fille", précieuse correspondance amoureuse que viennent de publier les Editions Grasset. Il n'est de page annotée, de page relus, à peine lue. Des lettres d'une densité et d'une acuité exceptionnelles qui parlent de littérature mais plus fondamentalement de la vie, et ce, passionnément. Car, c'est à Linette, une jeune fille d'à peine 18 ans rencontrée lors d'un vernissage, que Joë Bousquet adresse ces dizaines de lettres. Enfermé au 1er étage de sa chambre de Carcassonne aux volets clos, quatre ans avant sa mort alors qu'il s'apprête à fêter ses 50 ans, il décide de "l'amener sur le chemin d'elle-même". De son lit d'infirme d'où il a l'habitude de recevoir ses amis les plus chers (Eluard, René Char, Aragon, Paulhan, Breton, Gide, Dubuffet...) il lui écrit, et lui transmet ses vérités intérieures. Des lettres d'amour éclairées d'une grande beauté et d'une grande sensualité. On rêve de les avoir reçues. On rêve encore après les avoir lues. Quand on sait que Joë Bousquet a, depuis près de 30 ans, perdu l'usage de ses jambes après qu'une balle l'a atteint à la colonne vertébrale durant la première guerre mondiale, on mesure l'intensité poétique de ces phrases : " Que m'importe ce que je vois et entends chaque jour, si les souvenirs de l'instant le meilleur font de moi l'asile du voir et de l'entendre" ..."Nous avons créé notre amour pour qu'il nous crée à notre tour "..."Vous êtes une autre vie, dont je suis peut-être l'aube, mais plus certainement le nuage d'avant l'aube...Vous vous êtes formée de l'espoir que j'ai de naître à mon âme". 

Il y a dix ans, je suis entrée dans sa chambre à Carcassonne. Son lit y était, ses tableaux y étaient, sa pipe d'opium je ne sais... mais ce que je sais, c'est que les volets clos me renvoyaient l'écho de ses mots:" Enfermé dans ma chambre, enfermé dans mon corps, je rayonne de cette lumière immobile". Une si belle lumière.

Poésie pure

Je vais faire ce qui ne "se fait pas " mais que j'aime faire à toute heure de la journée pour goûter des mots de poésie, m'en irriguer, m'en bercer: vous convier à lire des extraits de poésie, des vers de Paul Valéry que j'aime, et que je retrouve régulièrement. Ils sont entourés, griffonnés , tout simplement aimés. Je vais donc les sortir de leur contexte, pour vous en livrer quelques extraits et vous donner envie de les lire, de les dire à votre tour, de les déclamer debout, à genoux, devant votre écran, là où vous voulez car quand la poésie vous prend, on ne peut s'en dessaisir, elle est là pour vous envahir et vous porter là où rien n'est programmé. C'est pour cela que j'aime la poésie. Elle s'en prend à notre corps et à notre esprit. Nul besoin de tout comprendre, juste entendre ce qu'elle dit, nous dit: "Je touchais à la nuit pure,/ Je ne savais plus mourir,/Car un fleuve sans coupure/Me semblait parcourir...", et "Je sais où je vais,/Je t'y peux conduire,/ Mon dessein mauvais/N'est pas de te nuire...O courbes, méandres/ Secrets du menteur,/ Je veux faire attendre/Le mot le plus tendre"...et encore," Tu penches, grand Platane, et te propose nu, Blanc comme un jeune Scythe, Mais ta candeur est prise, et ton pied retenu Par la force du site." Foncez acheter un livre de Paul Valery et découvrez l'aurore et le platane, les grenades et la palme...

Faire pleuvoir des soleils

J'aime les textes qui semblent n'avoir ni queue ni tête  car sans queue et sans tête ils sont plus libres de dire et d'affirmer de belles vérités qui frisent l'incongruité. Un exemple vous est donné avec "Le ciel du feu de singe", un exercice de style des plus savoureux. Extrait : " Pour les éléphants, une saison n'est pas exactement un courant d'air. C'est ce qu'ils essaient en tous cas de démontrer à l'aide de leur réseau de télédiffusion. Selon eux, l'existence d'au moins cinq saisons supplémentaires dites saisons de dégel, n'est pas à considérer non plus comme allant de soi, car chaque éléphant n'a-t-il pas finalement aussi sa propre saison sans son coeur, ou dans l'un de ses autres coeurs ? En effet, pour les éléphants, entre deux cycles de trois années longues et de trois années rapides, s'intercalent tout à tour une année courte violette et une année biscornue blanche, puis une année blanche courte et une année biscornue violette". Alors, ils vous plaisent ces éléphants pas comme les autres qui "aiment créer des des saisons supplémentaires à volonté, en fonction de leur microclimat personnel?" Moi, j'avoue que j'aimerais beaucoup être comme eux, car je créerais des tonnes de printemps et d'étés et ferait pleuvoir des soleils. D'ailleurs ce n'est pas Jules Supervielle qui me contradira avec ces quelques vers : "Soleil, un petit d'homme est là sur ton chemin/ Et tu mets sous ses yeux ce qu'il faut de lointain...Soleil, je suis heureux de rester sans réponse / Ta lumière suffit qui brille sur ces ronces"  ou "Le soleil parle bas /A la neige et l'engage/ A mourir sans souffrir /Comme fait le nuage". Oui, tout se passe là-haut, et d'ailleurs c'est pour cela que je suis très tête en l'air, j'aime regarder bien haut, là-haut, et me sens de fortes affinités avec Philippe Soupault qui écrit: " Que la lune est belle à midi/ c'est l'été au coin du feu/ quand le vent ronfle dans le désert/et qu'il fait nuit dans vos cheveux" et La nuit bouscule ses étoiles/ Il pleut du sable et du coton..." Tout est bien inscrit au-dessus de nos têtes, à nous faire perdre la tête!.  

Le ciel du feu de singe par Dominique Féniès dit Cartouche de Lune.;Jules Supervielle/ Le forçat innocent; Philippe Soupault / Georgia Ed Gallimard

Rêver et réinventer, c'est à notre portée!

Rêver. Je ne me lasse pas de rêver. J'aime regarder, observer, imaginer,détailler les personnes, les animaux, les choses pour y nourrir mes pensées, échapper de mon huit clos intérieur, d'ailleurs pas vraiment fermé à double tour puisque mes pensées s'y libèrent chaque jour. Dans mon lit, sur ma chaise, en marchant, courant, galopant...dans ma cuisine, au fond de la piscine, mes pensées dansent, grandissent, sautillent à qui mieux mieux pour faire de ce monde souvent trop sérieux un monde beaucoup moins sérieux. Il faut dire que j'adore m'inventer des histoires avec des bouts de ficelle et des queues de pelle, avec des gros chiens ventrus poilus et de de vieilles mémères coincées dans leur gouttière...Et si j'aime les facéties de Groucho Marx et la poésie de L'été de kikujiro de Takeshi Kitano, c'est bien pour mettre de l'extraordinaire dans l'ordinaire, comme j'ai essayé de le faire avec Nine. Un quatrième album jeunesse qui met en mots et en images tous les petits mirages de mon quotidien avec beaucoup d'entrain. Parions qu'il vous donnera envie de réinventer le vôtre. Moi, je le parie alors cliquez là et faites comme Nine! Nine - Editions Frimousse 12 euros

Tumultes intérieurs

C'est un vide qui m'a envahi ce week-end, un vide étrange qui a suivi la fin de la lecture d'American Darling de Russel Banks. Un blanc nécessaire pour replonger dans mon quotidien car après avoir lu ce roman si puissant, on ne peut que sombrer dans un état d'étourdissement, comme mis KO par la densité de l'écriture de l'auteur. L'histoire d'Hannah est une histoire faite de clandestinité, de terre et de sang, de sexe et de sueur, de drames et de pudeur pour dire les insoutenables tourments intérieurs, son apparente désinvolture, les sentiments déchirants déchirés de contradictions, les tensions, la politique et ses mensonges... Oui, car tout est dit, raconté sur fond de politiques (avec un "s", pas la grande mais celles des basses manoeuvres). Des Adirondaks au Libéria la vie d'Hannah est une succession de vérités et de mensonges, un amoncellement de vies qui s'empilent, se tordent, se détruisent pour finir par reprendre corps dans un seul corps, un seul esprit. Mademoiselle Musgrave, Mademoiselle Carrington, Madame Sundiata, elle est toutes ces femmes à la fois Hannah. Comme elle, on se sent tiraillé, happé par ses bouleversements autant extérieurs qu'intérieurs. American Darling c'est tout ça et c'est Grand, c'est beau, Très Très Beau...et on n'en sort pas indemne. American Darling - Russel Banks Editions Babel. 10,50 euros Roman traduit de l'américain par Pierre Furlan.

Parler pour dire

"Si je marche", ce titre se suffit à lui-même. Il vivait d'ailleurs déjà très bien avant que je le remarque dans le rayon poésie coincé entre un gros livre et un grand classique. Oui, il ne semblait pas du tout s'ennuyer dans cette Librairie-Maison de la presse de Lamaloux qui voit passer des dizaines d'habitués, de touristes et d'écoliers, et dans laquelle je me rends chaque été pour y acheter un peu poésie...Sa simplicité m'a toute de suite attirée, comme la couverture du livre, carrée, qui dégageait je ne sais quoi de différent, de raffiné. Il est vrai que les illustration d'André Saliot annonçait la couleur: à fleur de grisés. Un camaïeu lénifiant qui m'a tout de suite donné envie de feuilleter le livre. Dès la première page, j'ai compris que le format répondait à l'exigence d'un Grand Monsieur qui savait se faire humble. Oui, tel est Jean Verdure et sa poésie qui m'ont conquis et que je ne cesse de lire et relire. Il faut se laisser happer par la beauté des mots, par leur apparente simplicité. Au hasard, je prends la page 22  et je lis:" Devant moi tous les mots que j'aurais mis en marge à mûrir et cette page nue à n'en plus pouvoir appeler, l'air concret, le ciel béant, ton corps disposé comme j'aime"....et prolonge mon plaisir page 42: " Renouer l'appel au cri, l'invective à la prière, la clameur tenue en l'air au bruit du temps qu'il fait. Peindre le tumulte à jeu continu, d'un trait ferme la colère, en tremblé l'inquiétude, et s'écrire d'après, s'inventer selon."

Jean Verdure vit à Bédarieux. Son talent s'offre à nous, en toute évidence...mais lui semble préférer le silence au tapage des rentrées littéraires et parisiennes. A 80 ans, il poursuit sa route , et semble rester cet homme humble et vrai qui se décrit ainsi :" Je suis né d'humbles gens besogneux et bons...Je suis des beaux jeux, des pleins feux, des bonnes pages, des plus hauts faits d'art...Chaque poème est poun moi un état de lieu...J'écris comme on laboure, le front baissé".

Au téléphone, je l'ai eu, le week-end dernier. J'ai entendu cette humilité offerte. Un cadeau. Je n'avais pas les mots. Lui parlait peu, et parlait juste. J'espère que ce Grand Monsieur continuera longtemps encore à labourer. Avec lui, les champs n'ont pas fini de germer.