Je viens de voir l'exposition "Ne pas parler de sculptures peintes " à l'Institut Alberto Giacometti, ce petit bijou, cet écrin qui invite à la contemplation. Je m'y suis tout de suite sentie bien.
A ma façon, je vous parlerai des sculpture peintes exposées car pour moi, les regarder, les approcher, c'est aussi traverser les frontières entre sculpture et peinture, et aussi, et beaucoup, se laisser traverser par le regard de Genet.
Car pousser la porte de l'Institut Giacometti, c'est immédiatement voir en contreplongée la reconstitution de l'atelier de Giacometti. Gris. Ce gris "qui assemble les contraires, ne tranche pas, affaiblit les oppositions, brouille les lignes, et notamment cette ligne-frontière placée par Genet, entre lui et l'ennemi.Les grandes statues, à la fois singulière et anonymes, phalliques, dé-sexuées, mortes et vivantes, s'érigent sur cette ligne. Et c'est cet espace-là qui et, au sens propre, son atelier, que l'artiste ouvre à Genet."
Giacometti a produit peu de sculptures peintes. Ce sont essentiellement sur des sculptures en plâtre qu'ils conservaient dans son atelier, qu'il pensait les couleurs, les patines de ses sculptures ne le satisfaisant pas. Il ne s'agit nullement de couleurs vives qui tranchent. Elles rejoignent les grisés ocrés brunis de l'atelier qui créent "une zone de neutralité, une aire mitoyenne où les oppositions, sans s'abolir, composent"*. C'est dire la puissance de cet atelier, de ces sculptures peintes qui au-delà de leur beauté, ont - comme la poussière de l'atelier - oeuvré auprès de Jean Genet. Un lieu comme un espace hors de l'ordre social qui accorde toute sa place aux choses les plus infimes (la poussière de plâtre, les copeaux...), les nourrit et lui fait repenser son rapport au monde.
En regardant ces sculptures, leurs nuances de brun et de bistre, je rejoins à ma manière ces deux hommes qui n'avaient, a priori, rien à voir ensemble. Je pense à leur rencontre "improbable et nécessaire" née dans cet atelier, devant ces sculptures peintes. Je pense à leurs deux solitudes, aux perpétuelles remises en question de Giacometti le taiseux qui affichait ses doutes, ses frustrations dans la recherche de la perfection dans lesquels Jean Genet semblent avoir trouvé bien plus qu'un écho.
Voir cette exposition, c'est aller à la rencontre de ces oeuvres qui ne trouvèrent pas grand écho parmi les collectionneurs et qui aujourd'hui sont mise à l'honneur, c'est appréhender le travail des lignes, c'est aussi rejoindre l'exigence d'un rapport à la vie dénuée de tout aplomb de toute assurance pour tenter - non pas de reproduire la réalité - mais de la créer. Une réalité vivante. Une quête absolue. D'absolu. L'incessant du travail sur la matière, - sur la poussière, sur la vie et sur la lumière - devant s'accompagner de l'incessant de la conversation, de l'ouverture à l'autre d'où qu'il vienne et où qu'il aille...** . D'où qu'il vienne, et je pense à Genet sorti de prison, et où qu'il aille", et je pense à ce même Genet en Turquie, en Suède, en Italie et au Danemark aux cotés d'Abdallah.
De ce compagnonnage dans l'atelier de Giacometti, Genet en sort transformé. De cette exposition, on pourrait dire, petite de par son format, j'en suis sortie grandie.
Exposition : Alberto Giacometti Ne pas parler des sculptures peintes. Fondation Giacometti-Institut. Jusqu'au 3-11-2024
*Albert Dichy : Giacometti, poussière couleur grise.
** Jacques Dupin, une écriture sans fin, Giacometti, Ecrits, op.cit., p XXIII