Transmettre. Transmettre de la beauté en héritage. Ne rien déflorer. Ne surtout pas toucher à l’existant. Etre dans la justesse et dans le respect de ce qui a été fait mais être aussi dans le geste qui éclaire, nous éclaire sur ce lieu de mémoire, sur une lignée, un homme, un collectionneur.
Je connaissais ce Musée pour l’avoir visité il y a de longues années. Etudiante, j'y suis entrée comme on entre dans un temple où tout est à la fois figé mais aussi où rien n’est arrêté, où l’histoire se poursuit avec ceux et celles qui sont conviés à y entrer ou qui s’y invitent.
Dimanche dernier, j'ai une nouvelle fois franchi le porche qui donne sur la rue de Monceau.
Rien n’a changé ou presque.
Dans la cour d’honneur, huit bancs en pierre de Hornton et des éclats de feuilles de plomb doré viennent en émailler les bords. Se poser, attendre d’entrer dans ce très bel hôtel particulier pour prendre la mesure du temps, celui d’avant et celui qui est passé et va passer.
J’y entre comme on entrerait presque en religion, sûre d’y trouver quelque chose de l’ordre de la grâce, de l’indicible même s’il s’agit dans un premier temps de s’ouvrir à de la beauté perceptible. Ici, nul brouhaha. Les quelques visiteurs présents ont l’extrême élégance de se fondre dans le décor en silence. Un silence vivant. Osmose avec ce qui a été l’oeuvre d’une vie et qui fait aujourd’hui l’objet d’une mise en scène « contemplative et sensible » par Edmund de Wall, artiste céramiste et écrivain.
Il faut avoir l’élégance du geste, et un infini respect pour Moïse de Camondo qui a dédié ce lieu à son père et à son fils mort à la guerre pour investir l’espace, se l’approprier et s’y fondre. Lieu de mémoire pour eux mais aussi mémorial pour sa fille, son mari et ses petits-enfants assassinés à Auschwitz.
Dès le vestibule, une longue table-lettre m’émeut. Je la contemple. Beaucoup.
Commence alors la re-découverte de ce lieu et la découverte des installations de l’artiste.
Des petits groupes de lettres en porcelaine disposés sur des secrétaires lient et relient les deux hommes, Moïse et Edmund épris d’écriture ; des tessons de porcelaine glissés dans un bonheur-du-jour disent les cassures et les brisures de l’existence et viennent renverser le nom même de ce meuble ; des coupes posées dans l’office du chef et de la salle à manger nous ramènent des décennies en arrière quand la vie emplissait l’espace avec ses mondanités…
La beauté de cette exposition est dans son apparente simplicité, dans la répartition et l’agencement de ces pièces de porcelaine, de chêne et d'or. Rien n’est donné, tout est suggéré.
Le regard se promène, se perd parfois même dans la collection des oeuvres d’art du XVIIIe siècle, et c’est parfois au moment où l’on s’y attend le moins que l’on se laisse surprendre par des lettres, pots, vases, brisures qui nous ouvrent de vrais espaces de contemplation, d'ouverture et de réflexion sur la mémoire et la transmission.
Un parcours comme une ascèse qui fait un va-et-vient incessant entre le passé, le présent et notre futur.
Face à l’absence et au silence, il y a cette magnifique conversation entre le mobilier et les tableaux collectionnés par Moïse de Camondo et les oeuvres d’Edmund de Waal qui relève le défi de ne rien déplacer dans le respect absolu de ce que souhaitait ce grand collectionneur.
Dans ce lieu empli des échos de l’Histoire, les éclats d’or de l’artiste britannique sont pures merveilles et nous donnent le droit d’espérer face aux atrocités du siècle passé.
Edmund de Waal - Musée Nissim de Camondo
Photo BG / Dans l'office de la salle à manger.